Exposition Motifs à dire

Le texte de la commissaire Suzanne Chabot
Appréhender le travail de Julie Bénédicte Lambert, c’est accepter de naviguer sur plusieurs niveaux de signification. D’abord le regard est attiré par la ligne, le pli, la dualité entre le noir et le blanc. Le mode d’entrecroisement est toujours le même et pourtant l’oeil y voit des motifs. Chaque section est tissée selon une séquence de couleur distincte donnant naissance à une multitude d’effets factices. La facture graphique de l’ensemble est logique, contrôlée, à la limite austère.
Passé ce constat, imperceptiblement l’esprit est envahi par une sensation de plénitude et d’harmonie. Est-ce la beauté du travail, la noblesse ou le traitement de la matière qui suscitent cette émotion? Ce sentiment de quiétude est attribuable à une esthétique épurée chère à l’artiste. De cet équilibre précaire, Julie Bénédicte Lambert fait naître la beauté.
Puis, en sourdine, bien au-delà du langage formel propre aux techniques, il y le bruissement des mots. Durant le processus de création, Lambert entretient une conversation familière et constante avec son travail. Collectant là de courtes expressions, s’arrêtant sur la signification ou la sonorité d’un mot, se laissant bercer par leur sens. L’artiste ouvre ainsi un espace poétique, un lieu de correspondance entre l’articulation de la langue parlée et écrite et la construction d’un tissage. Cette méthode de renvois et de vas et vient, laisse place à l’analyse de l’expérience humaine dans sa forme la plus poétique.
Armure / toile, deux mots au sens équivoque.
Une inébranlable alternance, de l’entrecroisement des fils de chaîne aux fils de trame, les duites ouvrant patiemment le passage entre les fils pairs et impairs. Un vocabulaire simple mais formel, un dialogue d’où émerge un tissu, la toile. Pourtant les mots armure et toile ont un sens équivoque, ils ravivent l’idée de protection, d’habitat, de cocon mais aussi l’allégorie du canevas qui donne à voir et qui communique. Ainsi, les longs panneaux, pliés à 45 degrés (rappelant des idéogrammes) interpellent le tressage en diagonal des paniers qui eux-mêmes renvoient aux collages de papier. Paniers et collages sont présentés en duos, à l’image de vases communicants. Communiquer suppose un émetteur et un récepteur pourtant l’artiste dira :
« Mes paniers sont des objets de communication dysfonctionnels. Des porte-voix qui ne portent pas la voix. Des cornets pour amplifier les sons qui n’amplifient rien. Le tissage ou le tressage de nos phrases ne résonne souvent que partiellement chez l’autre, peu importe la forme de notre discours. Les fils de nos pensées s’entremêlent. La méthode de fabrication amène une respiration, une cadence et des espaces qui reflètent le rythme d’un poème ou les silences dans une discussion. »
La lecture de cette exposition se fait nécessairement avec recueillement. Ainsi, il faut s’abandonner et prendre le temps de regarder à l’équivalent du temps qu’il a fallu pour tisser, tresser, construire. Il faut entendre les silences et les non-dits, se laisser séduire par l’humanité des gestes de la création.
Suzanne Chabot
Directrice
Centre des textiles contemporains de Montréal