Penser avec la matière
Je présente une nouvelle itération de mon travail avec la paille de seigle. En compagnie de Nathalie Levasseur et Mylène Boisvert.
Communiqué de la commissaire Pascale Beaudet :
En tant que commissaire qui « sort des sentiers battus », j’ai choisi cette fois des artistes qui exploitent la fibre (pas le textile), les trois se servant de matières issues de végétaux, soit la paille, le fil de papier de lin et l’osier. Pour nommer ces pratiques, les anglophones se servent du terme « fiber art », qui commence à être utilisé en français en tant qu’art de la fibre. La revue Vie des arts l’a même identifié récemment comme un « espace critique radical ».
Ces pratiques nécessitent un savoir-faire issu des traditions de la vannerie, du tressage ou du tissage, mais elles sont soit réinventées ou détournées pour créer des objets non-utilitaires, qui ont des propos divers : le passage du temps, la fragilité de la nature, une réflexion sur les décors et usages domestiques et même les gestes de dévotion.
Mylène Boisvert travaille le fil de papier de lin pour créer des oeuvres délicates rappelant le passage du temps et le matérialise par les décors des papiers peints du milieu du XXe siècle. C’est dans la maison familiale qu’elle a prélevé des fragments de papier peint pour les recontextualiser dans des oeuvres évanescentes. Elle s’est aussi inspirée de la nature pour fabriquer des tableaux botaniques avec des plantes du Québec, comme la renouée persicaire ou le phytolaque d’Amérique, pour se constituer un nouveau type d’herbier, en forme de bas-relief aquarellé.
Julie Bénédicte Lambert s’est intéressée à la paille de seigle tressée lorsqu’elle était en résidence au Portugal, à Guimarães, l’an dernier. Elle a découvert un sac traditionnel, utilisé pour le transport des marchandises agricoles, et l’a transformé en réceptacles à affects. Étudiant les postures des statues de dévotion portugaises, elle en a emprunté les gestes et a formé la matière en la pressant contre des parties de son corps. Il en résulte des oeuvres évocatrices de sentiments fugaces et pourtant persistants.
Nathalie Levasseur poursuit un double objectif : transmettre les techniques traditionnelles de vannerie et de tissage et susciter une prise de conscience environnementale. Elle travaille avec les matériaux naturels pour provoquer un sentiment d’émerveillement qu’elle espère susceptible de changer les choses. Son installation faite de rameaux de saule (qu’on appelle osier) qu’elle cultive elle-même est une ode à la sérénité et à la réflexion sur un monde changeant.
J’ai choisi trois artistes aux pratiques différentes, mais qui se réunissent sur quelques points essentiels : la fascination pour la matière, le besoin du geste répétitif, quasi méditatif, et la nécessité de transcender le savoir-faire. Chacune des sculptures exposées, issues d’innombrables heures de travail, suscite l’admiration pour cette longue patience et possède une valeur ajoutée qui porte à la contemplation et la réflexion. Merci à elles!
Pascale Beaudet, commissaire